Quand l'Europe mobilise... en ligne. Prises de parole et citoyenneté européenne : analyse de deux dispositifs numériques sur l'Europe - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2012

Quand l'Europe mobilise... en ligne. Prises de parole et citoyenneté européenne : analyse de deux dispositifs numériques sur l'Europe

Résumé

De prime abord, l'Europe est un objet supposé plutôt lointain des préoccupations de nombreux agents sociaux. Il est ainsi fréquemment considéré que l'Europe ne constitue pas un sujet politique mobilisateur (Cautrès, 2001 et 2003 ; Belot, Greffet, 2005 ; Schmitt, 2005 ; Schmitt, Binder, 2006). Et, quand elles apparaissent, les attitudes à l'égard de la construction européenne sont le plus souvent sollicitées, par exemple à l'occasion d'entretiens semi-directifs et plus encore de sondages, tels que les enquêtes Eurobaromètres. Elles sont alors le produit d'une situation partiellement "artéfactuelle" ainsi que des effets liés à la présence de l'enquêteur (Labov, 1976). Notre objectif dans cette communication est a contrario d'analyser ces attitudes lorsqu'elles émergent sous une forme spontanée à travers des prises de parole au sein de dispositifs en ligne sur l'Europe. Cette proposition de communication vise à relever les arguments de citoyens mobilisés et certaines de leurs caractéristiques sociales à partir de matériaux originaux issus de deux dispositifs de prise de parole en ligne mis en œuvre dans des contextes différents. Loin d'être des espaces publics " virtuels " nouveaux où l'on retrouverait l'idéal délibératif de l'espace public bourgeois (Greffet, Wojcik, 2008) tel qu'il fut théorisé par Habermas (1962), l'hypothèse que nous avançons est celle que ces espaces numériques reconstituent et reconfigurent les effets de sélection sociale et de mise en forme d'un discours particulier qui ont pu antérieurement être observés au sein d'arènes politiques sélectives (Fraser, 1992 ; Landes, 1988). Les deux matériaux se composent de la manière suivante. Premièrement, suite à l'échec du référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE) en France le 29 mai 2005, le site d'information sur l'Union européenne (UE), Toute l'Europe.fr a lancé un sondage en ligne intitulé "L'Europe et vous" avec de nombreuses questions fermées et ouvertes sur les rapports à l'Europe et quelques unes sur les caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, profession, niveau de diplôme). 1298 internautes y ont répondu totalement ou partiellement (Hubé, Méon, Michon, 2010). Deuxièmement, à l'initiative de la Commission européenne, un consortium "d'entrepreneurs d'Europe" (Aldrin, Dakowska, 2011) a organisé les Consultations Européennes des Citoyens (CEC). Ce dispositif sophistiqué a articulé des consultations nationales en face-à-face, sur le principe du "mini-public", et des plateformes de débat en ligne dans chacun des 27 pays membres. L'objectif affiché était la production, par les citoyens, de recommandations, sur le thème de l'avenir économique et social de l'Europe, à l'attention des députés européens à la veille des élections de juin 2009 (Wojcik, 2011). Entre leur lancement en décembre 2008 et la date de clôture du débat en ligne en mars 2009, sur l'ensemble des sites nationaux, 5 907 internautes enregistrés écriront un message ou feront une proposition, pour un total de 5 640 messages. Nous nous concentrerons ici sur les 1132 messages collectés à partir du site français. Quoique poursuivant des objectifs sensiblement différents, ces deux dispositifs offrent la possibilité de recueillir et de caractériser une parole active sur l'Europe. L'étude du contenu des paroles tenues et de ceux qui les tiennent renseigne sur les opinions à l'égard de l'Europe, en les observant en actes. Traitées et analysées au moyen d'approches qualitative et quantitative, ces données donnent l'opportunité d'observer des opinions plus que des attitudes à proprement parler. Dans une première lecture, ces matériaux illustrent des attitudes ambivalentes - que nous avons précédemment eu l'occasion d'explorer à travers des entretiens qualitatifs (Dakowska, Hubé, 2010) - quant à l'Union européenne : l'Europe qui les fait réagir n'est pas nécessairement, ni uniquement celle du processus d'intégration européenne. Plus encore, les non-réponses au sondage "L'Europe et vous" ou bien la pléthore de messages hors thème lors des CEC (par exemple, protection des animaux, développement de l'esperanto, légalisation du cannabis) laissent à voir combien la complexité de l'objet Europe est rédhibitoire pour des citoyens qui semblent pourtant particulièrement concernés, voire politisés. Cette parole n'est ainsi pas complètement "ordinaire" : pour se faire entendre, elle doit respecter des normes discursives (Boltanski, Darré, Schiltz, 1984 ; Pounds, 2006). Cette contribution nous permettra de montrer également que les dispositifs en ligne autorisant une parole "spontanée" ne s'adressent pas à des utilisateurs dépourvus d'ancrage social. Qu'ils soient en face-à-face ou, pour ce qui nous intéresse ici, en ligne, de tels dispositifs constituent des entreprises en représentations politiques, qui par leur design, la langue utilisée, renvoie à un rapport au monde. Le lien entre politisation et médias (Gaxie, 1978 et 2003 ; Charpentier, 2004 ; Pierru, 2004) s'incarne dans des modes diversifiés d'appropriation, par les internautes, des dispositifs participatifs. Pour autant, l'essentiel de la littérature académique à ce sujet n'interroge que peu les publics des dispositifs en ligne (Tomkova, 2009). Il s'agirait précisément ici d'observer ensemble les acteurs et leurs discours. Par conséquent, cette contribution amène à reposer la question de la compétence des citoyens "ordinaires" à s'exprimer (et à être entendus) (Fromentin, Wojcik, 2008 ; Gaxie, Hubé, de Lassalle, Rowell, 2010), et plus généralement celle des conditions d'une participation citoyenne au débat politique sur la construction communautaire et sur les enjeux européens. Il semble nécessaire de se sentir particulièrement habilité à prendre la parole sur un objet aussi "compliqué" que l'Europe pour s'exprimer en ligne à son sujet. Il convient également d'ajouter que la mobilisation de ces opinions renvoie parfois davantage au débat médiatique qu'au processus d'intégration européenne.

Mots clés

Fichier non déposé

Dates et versions

hal-00840628 , version 1 (02-07-2013)

Identifiants

  • HAL Id : hal-00840628 , version 1

Citer

Nicolas Hubé, Sébastien Michon, Stéphanie Wojcik. Quand l'Europe mobilise... en ligne. Prises de parole et citoyenneté européenne : analyse de deux dispositifs numériques sur l'Europe. Communiquer dans un monde de normes. L'information et la communication dans les enjeux contemporains de la "mondialisation", Mar 2012, Roubaix, France. ⟨hal-00840628⟩
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