, Si entre 311 et 306, les Colophoniens de l'intérieur avaient entamé la reconstruction et l'élargissement de leur enceinte fortifi ée, Lysimaque détruisit Colophon et obligea la plupart de ses habitants à s'établir à Éphèse. Bien qu'ils aient pu rapidement réoccuper leur ville et la rebâtir, le mouvement était néanmoins engagé de manière irréversible. Tant et si bien que, dès le milieu du III e siècle, ou peu après, la convention de sympolitie n'est plus en vigueur. Il n'est désormais plus question de voter dans l'une et l'autre cité, comme auparavant. Dès lors, Colophon l'Ancienne déclina rapidement et fi nit par être absorbée par Colophon-sur-Mer. À partir du II e siècle, il n'y eut plus qu'une seule cité à s'appeler Colophon et toute précision topographique devint superfl ue. Initié au V e siècle, le «déplacement» de la cité s'achevait ainsi au terme d'un long processus au cours duquel s'opéra un rééquilibrage progressif entre les deux pôles du territoire de l'antique Colophon archaïque. Ce schéma historique n'a en lui-même rien d'exceptionnel. Il correspond, mutatis mutandis, à la situation d'autres cités grecques : si Athènes ne déplaça jamais le coeur de ses institutions au Pirée (si ce n'est durant la lutte contre les Trente en 404), certaines cités crétoises comme Lyttos ou Lato connurent ce que les historiens appellent généralement une «descente vers la mer», en fait un rééquilibrage civique au profi t de leur port, Chersonesos et Kamara 54 . Dans cette longue histoire de la cité, où se placent les huit décrets mentionnant le nombre de votants ? Comme ceux-ci émanent de Colophon-sur-Mer, devons-nous en l'occurrence conclure que les chiffres de présence à l'assemblée ne valent que pour une portion du corps civique global de cette cité à deux têtes ? La réponse est très claire sur ce point, Conformément à la convention, certaines décisions devaient d'ailleurs être ratifi ées par un vote secret dans l'assemblée de l'une puis de l'autre cité. Les vicissitudes historiques modifi èrent cependant l'équilibre politique établi entre les deux communautés à l'avantage de la cité du littoral, qui acquit peu à peu une primauté de fait et commença à s'appeler Colophon-sur-Mer

, Autrement dit, le bon millier de citoyens présents à l'assemblée n'est pas le corps civique d'un territoire partagé entre deux centres rivaux, mais bien celui de Colophon

H. Van-effenterre, Sur la «descente vers la mer» des cités crétoises, voir P. Brulé, La piraterie crétoise hellénistique, 1948.

P. Le-phénomène-s'amorce-À-l'époque-classique-selon and . Perlman, Voir aussi Fl. DRIES-SEN-GAIGNEROT, «Pression sociale et descente vers la mer en Crète à la période hellénistique», dans ???????? ?? ??? ?? ??????? ? ???????????? ??????? ?? (???? ???, Crete in the Classical Period : Piracy, Politics, and Patterns of Settlements» (abstract), vol.97, pp.179-188, 1993.

. Ph and J. Gauthier, , pp.83-87, 2003.

, Or, j'ai montré ailleurs combien une telle vision des élites grecques correspondait davantage à une construction historiographique moderne qu'à la réalité de la mécanique sociale archaïque 58 . Le faste des Mille ne suffi t pas en ce sens à défi nir une hiérarchie sociale associée à l'existence d'une élite restreinte au sein du corps civique de Colophon. Il convient par ailleurs de s'interroger sur l'expression de la citoyenneté archaïque, dont les Mille de Colophon sont un exemple concret, Tâchons donc ici

L. En-grèce-ancienne, . Citoyenneté-est-d'ordinaire-associée-À-la-jouissance-d'un-statut-juridique, . Opposé-À-celui-d'esclave-ou-d'étranger, . Et-À-l'exercice-d'une-autorité-politique, and . Dans-le-cadre, Une autre défi nition, qui donne plus d'importance aux réalités archaïques qu'à la pensée classique, est-elle envisageable ? En l'occurrence, dans la mesure où les Mille se présentent sur l'agora de Colophon en tant que citoyens, n'importe-t-il pas de donner à leurs comportements une dimension à proprement parler «civique» ? Il y a là assurément, pour de nombreux historiens, une diffi culté majeure. Mais le problème est bien là : des citoyens, ni plus ni moins oligarques que dans d'autres cités, peuvent-ils avoir adopté des comportements que d'aucuns tiennent aujourd'hui pour «aristocratiques» à la suite notamment de toute la pensée hellénistique et impériale sur la truphè ? Est-il donc impossible d'envisager que les pratiques décrites par Xénophane de Colophon puissent avoir été, dans certaines cités archaïques au moins, des moeurs citoyennes ? Il faut d'abord noter que l'agora vers laquelle se rendent les Mille (?????? ??? ??????) désigne dans la langue et la pensée archaïques, comme l'a bien montré Françoise Ruzé, tant le lieu de réunion que la réunion elle-même de l'ensemble des citoyens, bref l'assemblée 59 . Pauline Schmitt-Pantel a pour sa part montré la dimension éminemment civique du banquet en Grèce archaïque et classique 60 . Quant à la pourpre et aux parfums, quelques parallèles me permettront ici d'amorcer une enquête sur les comportements du citoyen en Grèce archaïque. Athénée rapporte par exemple qu'à Sybaris, autre cité au luxe proverbial, «il était d'usage que, jusqu'à l'âge de l'éphébie (????? ??? ??? ?????? ???????), les garçons (???? ??????) portent des robes de pourpre et que leurs cheveux soient tressés avec des ornements d'or

A. Duplouy, Recherches sur les modes de reconnaissance sociale en Grèce entre les X e et V e siècles avant J, 2006.

. Fr and . Ruzé, Délibération et pouvoir dans la cité grecque de Nestor à Socrate, pp.25-28, 1997.

«. , ?. Dans, and E. , À la recherche de l'équité, p. 121 «??? ?????? means simply ?to the market-place?, vol.35, pp.209-224, 1941.

P. Schmitt-pantel, La Cité au banquet. Histoire des repas publics dans les cités grecques, 1992.

, La source de ce passage étant vraisemblablement Timée de Tauroménion, les termes ?????? et ?????? furent sans doute alignés sur le vocabulaire de l'institution athénienne de la fi n de l'époque classique. Sous ces vocables se devinent dès lors des classes d'âge, qui sont aussi des étapes dans l'apprentissage du métier de citoyen. Enfi n, il convient de rappeler les propos de Socrate dans le Banquet de Xénophon (2, 4) : «L'odeur de l'huile des gymnases est plus agréable aux hommes qui peuvent s'en imprégner que le parfum aux femmes et, s'ils n'en ont pas, ils en sentent le manque plus vivement. Qu'un esclave et un homme libre se parfument, tous deux à l'instant sentent également bon ; mais les parfums qui résultent des exercices libéraux exigent d'abord de l'application et beaucoup de temps pour être agréables et dignes d'un homme libre». Dit autrement, pour Socrate, c'est l'odeur qui distingue l'homme libre de l'esclave

. Au, une manière de repenser l'expression de l'appartenance civique ? Les comportements -et notamment les pratiques de luxe -permettent d'éclairer une conception particulière, propre à certaines cités archaïques, du vivre ensemble. Rappelons, pour terminer, que Thucydide (I 6) déjà évoquait ce mode de vie particulier des anciennes cités d'Ionie, to habrodiaiton, où les pratiques de luxe, telles que porter des tuniques de lin et nouer ses cheveux par des agrafes d'or en forme de cigale, contrastaient avec un style de vie plus modeste, qui caractérisait les Athéniens du V e siècle. À n'en point douter, les Mille de Colophon auraient fait sensation dans l'Athènes de Périclès