L’enfer déchaîné et les chiens sans maîtres : les premiers quakers et l’invention du fanatisme au XVIIe siècle - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2017

L’enfer déchaîné et les chiens sans maîtres : les premiers quakers et l’invention du fanatisme au XVIIe siècle

Résumé

Le quakerisme jouit généralement depuis la description attendrie de Voltaire, et plus encore de nos jours d’une réputation flatteuse : le pacifisme intransigeant des quakers, leur souci d’égalité et leur profond engagement humanitaire – qui leur a valu d’être à ce jour l’unique mouvement religieux à recevoir collectivement le prix Nobel de la paix (en 1947) – ont accrédité l’idée d’une forme de religion singulièrement ouverte et non violente, tout le contraire de ce qu’on entendrait spontanément comme un fanatisme. Pourtant, au moment de leur naissance et de leur essor spectaculairement rapide dans l’Angleterre du milieu du XVIIe siècle, les quakers ont été immédiatement perçus comme de dangereux individus, perturbateurs de l’ordre politique ou social et surtout profondément intolérants : des fanatiques enragés, sourds à tout bon sens et habités par la conviction irrationnelle d’être les seuls vrais chrétiens des premiers temps. Ceux que Richard Baxter décrivait comme de pauvres fous et des « chiens sans maîtres » ne représentaient rien de moins pour nombre de pamphlets contemporains que « l’enfer déchaîné » déferlant sur une Angleterre durement éprouvée par des années de troubles. On pourrait traiter cet écart de perception historique de plusieurs manières : soit subjectivement comme le produit de l’exagération paranoïaque de leurs adversaires du XVIIe siècle (on soutiendra que cette explication est très limitée), soit objectivement comme un cas classique de l’affaiblissement de la radicalité religieuse. Dans ce dernier cas, qui serait analogue à celui des anabaptistes dans l’espace germanique (au sens large) du XVIe siècle, l’évolution du quakerisme permettrait déjà de répondre à la question en soi intéressante des modalités de la « sortie du fanatisme ». Cette perspective demeure cependant elle aussi limitée, et elle manque surtout l’aspect le plus intriguant de cette histoire : le cas des premiers quakers a ceci de singulier qu’il a suscité en Angleterre la première vague de dénonciation massive du fanatisme sous le nom « d’enthousiasme » (comme on l’écrivait à l’époque – et même si le terme existait déjà), au travers d’ouvrages comme ceux de Henry More et de Méric Casaubon, inlassablement repris et amplifiés. La tendance à envisager le fanatisme non à travers un prisme religieux (hérésie, schisme, inspiration diabolique), mais à le renvoyer à la pathologie mentale prend précisément son essor anglais dans les années qui suivent la Restauration de 1660. Quand Clarendon avançait que les sectes et surtout les quakers avaient transformé le zèle et la piété en maladies dignes d’être traitées par les médecins, il inaugurait une longue tradition que le siècle des Lumières européen allait pleinement développer. Aux côtés de la notion d’enthousiasme, on considére également l’articulation possible aux catégories d’intégrisme et de fondamentalisme – élaborées au XXe siècle dans d’autres contextes – mais qui méritent d’être discutées en relation avec les premiers quakers et avec le concept de fanatisme.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03958714 , version 1 (26-01-2023)

Identifiants

  • HAL Id : hal-03958714 , version 1

Citer

Cyril Selzner. L’enfer déchaîné et les chiens sans maîtres : les premiers quakers et l’invention du fanatisme au XVIIe siècle. Le fanatisme religieux du XVIe siècle à nos jours. Étudier, comprendre, prévenir., Artois Presses Université, 2017, 978-2-84832-282-7. ⟨hal-03958714⟩

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