C. Étant, Jusque vers les années 1860, les élèves-ingénieurs des Mines, quant à eux, rompus à ce genre de calcul 43 , ne ratèrent pas une occasion de relever les insuffisances en la matière des sites qu'ils étaient amenés à visiter. Or l'exploitation minéro-métallurgique pendant toute la première moitié du XIX e siècle s'en tint globalement au moteur hydraulique Cette permanence a-t-elle exercé une influence identique à celle du maintien de la sidérurgie au bois, a-t-elle opacifié la nécessité d'une gestion rapprochée des coûts de production ? Une opacification que pouvait difficilement contribuer à réduire le lien privilégié avec les marchés publics? Faudra-t-il sur ce plan le passage de la minéro-métallurgie à la métallurgie sur l'eau, et l'urbanisation afférente de ce secteur pour que se modifient les habitudes dans ce secteur industriel ? La seconde piste de recherche concerne la pensée ingénierale. Il est courant et pour tout dire habituel de parler d'un 'modèle' français qui privilégierait le rapport à la puissance publique aux dépens de l'industrie. Cette lecture, commode lorsqu'il s'agit d'étudier les emprunts faits par d'autres pays au système français de formation de l'ingénieur, présente l'inconvénient non négligeable de clore le débat avant même que de l'engager lorsqu'on l'applique à la France elle-même. Parler de modèle, n'est-ce pas en effet ressusciter le diable de Maxwell, n'est-ce pas décider implicitement de la présence d'un agent pour penser et imposer ce modèle, et conférer non moins implicitement une puissance transcendantale à cet agent (qui ne pourra être que l'ingénieur lui-même ou? l'État 44 ) ? N'est-il pas plus raisonnable ?et plus réaliste pour qui veut à la fois définir un état et rechercher les causes qui l'ont fait naître -de mettre en relation l'évolution de la pensée et du métier d'ingénieur avec la multiplicité et la spécificité des contraintes que rencontra le pays dans sa phase d'industrialisation ? N'est-il pas préférable de se demander dans quelle mesure et jusqu'à quel point la matrice française d'industrialisation a imprimé sa marque, son style à l'ingénierie française ? Évoquons l'ingénieur des Mines en une brève et ultime illustration. Premier parmi les corps d'ingénieur à avoir reçu une formation 'industrielle' il ne ressemble que de très loin à ce polytechnicien féru de mathématiques et peu au fait des pratiques de l'atelier à quoi est facilement assimilé l'ingénieur français. Dans le premier XIX e siècle, il est bien sûr féru de mathématique -ce qui fait de lui un bon hydraulicien-mais il est aussi un bon métallurgiste, et ne dédaigne pas d'être mécanicien même s'il est 'corpsard 45 . C'est un homme de terrain, c'est aussi un homme d'atelier. Certains travaillèrent avec passion à la mise au point de machines d'exhaure quoiqu'ils trouvèrent difficilement à appliquer ce savoir dans l'industrie « privée », comme on disait alors. Est-ce à dire qu'il y eut échec partiel de la pensée mécanicienne française 46 ? Et dans ce cas pourquoi ? Est-ce à dire que le recours à l'hydraulique, s'il contribua à laisser partiellement en friche le territoire de la gestion, pas été sans retentir sur les modes de pensée et sur les représentations. Deux pistes de réflexion se dégagent ici. La première concerne la pensée entrepreneuriale Il est frappant de voiron s'était forgée de la filière américaine P.W.R. (« Pressurised Water Reactor ») 47 lorsqu'il fut décidé de l'adopter aux dépens de la filière graphite-gaz

B. Dessus, Etude économique prospective de la filière électronucléaire réalisée à la demande de Lionel Jospin, par Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, Benjamin Dessus, responsable du programme Ecodev du CNRS, René Pellat, haut-commissaire à l'énergie atomique, pp.12-15, 2000.